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Un rôle cognitif pour le chaos ?

On vient de voir qu'un régime dynamique synchronisé et localisé possède un caractère saillant au sein de l'activité globale du cerveau. Ce régime synchronisé se définit par opposition à un autre régime dynamique, que l'on peut qualifier de régime désynchronisé ou de régime chaotique. Ces deux régimes sont bien sûr associés fonctionnellement, dans la mesure où le passage d'un régime synchronisé à un régime chaotique autorise précisément l'adaptation dynamique.

L'existence du chaos déterministe dans le cerveau est l'objet d'un débat chez les neurophysiologistes [28]. Des études sur l'EEG humain [29,30] suggèrent qu'une activité chaotique correspond à l'état éveillé normal. Des dynamiques de plus faible complexité (sur l'ensemble de l'encéphale) indiquent des états pathologiques, de type épileptique. Au contraire, une mesure du chaos plus élevée que la normale pourrait être la signature d'états dépressifs [31]. On voit de façon générale que la simplification de la dynamique n'a pas du tout le même sens suivant qu'elle concerne la dynamique globale de l'encéphale (une régularisation globale de la dynamique semble indiquer une pathologie) ou un ensemble fonctionnel local (auquel cas une régularisation dynamique indique que cet ensemble reconnaît quelque chose, ou effectue un calcul).

Les arguments les plus convaincants en faveur du rôle du chaos pour la cognition se trouve dans un article de Skarda et Freeman [32] . Cet article se fonde sur des observations physiologiques. En implantant une soixantaine d'électrodes sur le bulbe olfactif du lapin, Freeman cherche à mettre en évidence un changement de régime lorsque le lapin est en présence d'une odeur connue. En l'absence de stimulation, la dynamique est fortement chaotique. Lorsqu'une odeur connue est présentée, il y a une simplification significative de la dynamique : la dynamique se rapproche d'un régime cyclique.

Au niveau du bulbe olfactif, le régime chaotique semble donc associé à un état d'attente active. En l'absence de motif connu, le système explore une grande région de son espace d'états. Dès qu'une odeur connue apparaît, il y a réduction de la trajectoire sur une région plus petite de l'espace d'états, qui conduit à une activité régulière associée à l'odeur reconnue. L'attracteur atteint correspondrait au niveau de chaque neurone à une activité dynamique plus régulière, qui serait alors prise en compte par les couches ultérieures de traitement. Si l'odeur n'est pas connue, la dynamique reste chaotique, et le système se maintient dans une attitude d'attente active. On a donc là une propriété supplémentaire par rapport au modèle classique de la synchronisation : la capacité de synchronisation est dépendante d'une pré-représentation existante. Pour que la dynamique converge vers un attracteur plus simple, il faut que celui-ci ait été auparavant inscrit par l'expérience 1.2.

Ainsi, une activité de fond chaotique permet un comportement dynamique différencié selon l'entrée sensorielle. En étendant l'hypothèse de Skarda et Freeman à l'ensemble de l'activité corticale, on peut concevoir de petits modules, de type colonne corticale, dont la dynamique chaotique ``cherche'' constamment à se réduire. Cette réduction est possible si ses signaux afférents correspondent à quelque chose de connu. Le système converge alors vers un régime plus simple, périodique et synchronisée, et transmet cette régularité à ses efférents.

Plus généralement, chaque module cherche à se mettre en cohérence avec ses afférents. Lorsque cette cohérence n'est pas bonne, l'activité est fortement chaotique. Lorsque cette cohérence est bonne, le système produit un signal régulier qui traduit à la fois la reconnaissance et la capacité à effectuer un traitement sur l'information entrante. En réduisant sa dynamique, le module participe à une étape d'une fonction cognitive plus globale.

Dans cette perspective, l'exercice d'une fonction cognitive par le sujet correspond à la régularisation dynamique d'un ensemble de modules, qui tend à augmenter la cohérence entre le signal présent sur les entrées sensorielles et la dynamique interne. Le système choisit son état dynamique en fonction à la fois des contraintes internes et des sollicitations de l'environnement.


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Dauce Emmanuel 2003-05-07